A Kinshasa, près de deux mois après l'instauration d'un couvre-feu de 21 heures à 5 heures du matin pour freiner la diffusion du coronavirus, les habitants ont adapté leurs programmes. Les forces de l'ordre s'emploient à faire respecter la loi dans cette mégalopole de près de 12 millions d'habitants et où le respect de cette mesure sanitaire s'applique de façon disparate.
Depuis le 18 décembre dernier, aucun Congolais n'est autorisé à circuler dehors au-delà de 21h s'il n'est pas membre du personnel médical ou ne possède pas une autorisation spéciale pour le faire. Une mesure du président Félix Tshisekedi pour freiner la propagation du coronavirus dont le pays connaît la deuxième vague. Mais le contrôle ne se passe pas de la même façon dans chaque pièce de la capitale congolaise, a constaté lemag.cd.
A l'UPN dans la commune de Ngaliema, tout se passe globalement bien. Les habitants de ce coin rentrent généralement plus tôt chez eux dans une situation normale, ce qui ne complique pas la tâche à la police. Rolly, 29 ans, gère le dépôt de marchandises de son oncle paternel au marché de Matadi Kibala dans la commune de Mont-Ngafula. Il doit attendre chaque jour que ses abonnés finissent de vendre pour consigner leurs marchandises dans son dépôt. Il est le dernier à partir après la vérification de tous les colis. Il quitte souvent à 21h30, le couvre-feu ayant débuté il y a une demi-heure. Il habite UPN et arrive souvent à 22 heures dans le quartier. Il craint plus de passer la nuit au camp Badiadingi où les militaires placent un point de contrôle que dans son quartier où la Police est largement conciliante. « Aux heures où je rentre, je me prépare à toute éventualité, je sais qu'on peut tout le temps m'arrêter mais pas dans mon quartier où la police fait preuve de compréhension et de bonne foi. Les jours où je rentre en retard je suis moins dérangé. Je contourne la barrière que l'on rencontre près du Rond-Point UPN, j'arrive au Sous-Commissariat du Rond-Point Masikita. Au coin de mon avenue également il y a une base de la police. Souvent les policiers me saluent en premier, me demande pourquoi je rentre en retard et me demandent de rentrer plus tôt demain et je continue ma route paisiblement après explications », explique le gérant qui dit ne pas croiser beaucoup de gens en ces heures tardives.
Au marché de l'UPN, les vendeurs nocturnes sont avertis par des sifflets. Nous avons observé le phénomène pendant quatre jours d'affilée. A 21 heures, un policier se met à siffler aux alentours du marché. 15 minutes sont accordées aux vendeurs pour qu'ils remballent leurs marchandises et quittent les lieux. Après ces minutes, un groupe de policiers fait le tour du marché. Ceux qui résistent sont sanctionnés. Les agents de l'ordre ne prennent pas la marchandise mais confisquent les torches de ces vendeurs pour les inciter à partir. Au plus tard 21h30, le marché se vide. Les derniers taxis-motos viennent chercher les passagers qu'ils acheminent à leurs domiciles via des routes secondaires pas très fréquentées par la police. Sur la route de Matadi, en revanche, les policiers installent chaque soir une barrière et passent au contrôle de véhicules en demandant les pièces d'identité et les raisons du retard. Souvent ce sont des véhicules privés bloqués dans les embouteillages pendant des heures à Kintambo ou Macampagne. Certains y laissent quelques billets de francs surtout les taximen qui roulent encore tard. Plus loin à Delvaux, la Police installe également la barrière au niveau de la station Total, toujours sur la Route de Matadi, une route d'intérêt national. Les véhicules privés sont moins inquiétés que les taxis qui négocient plus souvent avec les agents de l’ordre pour pouvoir rouler plus tard pendant des heures interdites.

A l'est et au centre de Kinshasa, la situation est parfois un peu plus tendue lorsqu'il s'agit du respect du couvre-feu. « Chez nous le transport pose problème! Je finis le boulot à 17 heures tous les jours mais je passe une ou deux heures pour attraper un taxi. Si je me rends compte que je serai en retard pour rentrer à la maison, j'attends un groupe de gens qui empruntent le même chemin que moi, on se retient pour faire route ensemble », explique ce monsieur de 48 ans, travailleur dans une entreprise publique, qui habite au quartier Terre Jaune dans la commune de N'sele . Il explique que ce groupe de marcheurs qui rentrent tard, dont il fait parfois partie, est forcé de payer à chaque fois une somme d'argent pour passer la barrière. La personne qui ne paie pas est retenue à la barrière une heure voire plus avant d'être autorisée à poursuivre son chemin. Quand ce sont de jeunes qui se retrouvent menacés par la police, la tension monte plus rapidement parce qu'ils essaient parfois un passage en force. Sur les grandes artères de N'sele, il est parfois plus facile de passer. Mais c'est aux points de contrôle des sous-commissariats généralement en sous-effectifs des policiers que les altercations sont les plus vives.
Dans la commune de Kalamu, au centre de Kinshasa, deux barrières sont installées sur l'avenue Victoire. Là, les agents de l'ordre sont impitoyables et très agressifs. Les conducteurs de transport en commun doivent parfois payer une fois arrivés à ces deux barrières. Ce qui les exaspère. Les piétons également subissent le même sort. A Ngiri-Ngiri, au niveau de Bayaka, il y a parfois une patrouille mixte Police et Armée pour arrêter des récalcitrants. « Depuis l'instauration du couvre-feu, je rentre au plus tard à 20 heures juste. Il ne m'est pas encore arrivé de rester dehors au-delà de 21 heures », affirme pour sa part Milton, jeune entrepreneur de 40 ans. Comme lui, des millions d'autres Kinois respectent scrupuleusement le couvre-feu. C'est davantage pour ne pas avoir à négocier avec les policiers que pour des raisons sanitaires.