Partis des lointaines régions du Kasaï et du Katanga pour poursuivre leurs études universitaires à Kinshasa, Alex Tshimwanga, Murphy Mulumba et Shekinah Mbuyi, sont devenus depuis quelques mois des véritables stars des réseaux sociaux en RDC. Les trois jeunes étudiants - aujourd'hui web-humoristes - composent le groupe Rigo Kin.
Loin de leurs parents, les cousins Alex et Shekinah et leur ami Murphy se sont lancés dans le web-humour pour financer une partie de leur scolarité. Alex, 25 ans, l'aîné de trois est né à Kananga dans la province du Kasaï-Occidental. Il étudie l'architecture à l'Université Panafricaine du Congo. Comme Alex, Murphy, 24 ans, est aussi né à Kananga. Lui fait des études de droit à l'université Révérend Kim. Shekinah, 22 ans, étudie à la fac de droit de l'Université Libre de Kinshasa.
A l'origine, les trois copains meublent leur temps en mixant des vidéos des personnalités du monde politique ou de la musique pour faire rire. Ils compilent leurs hésitations, expressions de visages, étonnements, fautes de langage sur les plateaux télés. Ces bêtisiers sont accueillis assez timidement dans le public. En 2019, un an après leurs débuts et la formation du groupe Rigo Kin, les trois jeunes trouvent une nouvelle inspiration. Ils décident d'apparaître eux-mêmes dans leurs vidéos. La nouvelle idée consiste pour les trois web-humoristes d'interagir après-coup avec les personnalités dont ils utilisent les extraits de passage dans les émissions télés. Ils intègrent dans leurs productions les questions et reprennent les gaucheries débitées par ces personnalités sur les plateaux télés en les sortant de leur contexte. Le tout sur le ton de l'humour. Leurs vidéos deviennent rapidement virales sur les réseaux sociaux.

Une de celles qui va vraiment les propulser sur le devant de la scène est la vidéo qui met en spectacle Mamie Tshibola. Juillet 2020, alors que le Covid-19 frappe de plein fouet la capitale Kinshasa dont le centre d'affaires est confiné paralysant la quasi-totalité des activités de la mégalopole, une affaire de mœurs défraie la chronique. Pascal Mukuna, l'un des plus célèbres pasteurs évangéliques du pays est accusé de viol, tentative de meurtre et rétention illicite d'un titre immobilier par Mamie Tshibola, une fidèle de son église et veuve de l'un de ses collaborateurs. La plaignante, longtemps réservée, accepte de donner à la web-émission Bosolo na Politik une interview qui fera date. Elle raconte en détails les scènes répétées des présumés viols dans un fort substrat linguistique de son tshiluba qui ne laisse pas le public indifférent. De son côté, le pasteur écume les plateaux de télé pour livrer sa version des faits.
Le passage de Mamie Tshibola et du pasteur Mukuna à Bosolo na Politik et sur Molière TV, c'est du pain béni pour les jeunes de Rigo Kin. Alex, Shekinah et Murphy compilent et mixent mots mal prononcés, réponses hasardeuses, humeurs et gestuelles de Mamie Tshibola et Pascal Mukuna sur les plateaux des télés. La vidéo qu'ils vont produire sur cette affaire va faire le tour des réseaux sociaux YouTube, Facebook, Tiktok, Likee, Instagram, Twitter et la messagerie instantanée WhatsApp.
« La comédie n'a jamais été une passion pour nous, nous faisions nos vidéos pour égayer simplement les gens qui aiment nous suivre jusqu'à ce que nous comprenions que nous pouvions en gagner quelque chose », dit Alex le doyen du groupe.
Emprunt du matériel pour tourner
Rigo Kin travaille sans manager. Et à en croire ses fondateurs, le web-humour ne nourrit pas encore son homme au Congo. Ce qu'ils regrettent. En plus, le groupe est peu équipé. Pour tourner ses vidéos, il emprunte du matériel auprès des proches. Ce qui réduit son son autonomie d’action.
«Nous utilisons les téléphones pour filmer mais il faut des téléphones de qualité comme les iPhone x mais nous n'en avons pas. Conséquence: nous recourons à ceux de nos amis pour tourner nos vidéos. Si nous parvenons à obtenir des caméras et un ordinateur, nous pourrons produire des vidéos de meilleure qualité», confie Alex Tshimwanga.
Pour suivre l'actualité, les membres de Rigo Kin passent leur temps sur les réseaux sociaux où ils enregistrent des milliers de vidéos pour les différents tournages. Mais là encore la question du matériel leur pose un réel handicap. Pour stocker toutes ces vidéos qui leur sert de matière première à leurs propres productions, ils sont souvent obligés d'effacer les anciennes pour laisser la place aux plus récentes.

Notoriété
Depuis la vidéo de Mamie Tshibola et Pascal Mukuna, la vie de chaque membre de Rigo Kin n'est plus pareille. Même s'ils ne tirent pas encore de revenus de cette activité, Alex, Murphy et Shekinah ne passent plus inaperçus dans les milieux où ils vivent. Alors que nous rejoignons le groupe pour l'interview, nous sommes accueillis chez Murphy à Lemba Terminus où il habite. C'est un grand bâtiment qui abritait un hôtel, aujourd'hui transformé en appartements. Dans la cour de la parcelle, il salue tout le monde vice-versa. Un voisin vient aux nouvelles: «Où en êtes-vous dans votre conflit avec le boxeur Youri Kalenga?», Lui demande-t-il. «Le conflit est loin d'être terminé», lui rétorque-t-il avec un large sourire.
Rigo Kin avait commenté une vidéo de Youri Kalenga, un boxeur international congolais qui demandait un combat contre Junior Makabu, un autre boxeur congolais. Ce dernier enchaîne de ceintures et a récemment réussi à conserver son titre de champion WBC par KO face à un Nigérian à Kinshasa. Depuis lors Youri répond à toutes les vidéos de Rigo Kin et leur a même promis un combat lorsqu’il reviendra à Kin. «Rigo Kin a changé ma vie publique, parfois en cours de route de personnes s'arrêtent pour me saluer. A plusieurs reprises, je n'ai payé mes courses en taxi ou taxi-bus, les percepteurs ou les chauffeurs me demandant de ne pas payer puisqu'ils adorent le boulot que je fais», révèle Murphy qui n'est pas le seul à bénéficier de ses avantages. Alex lui, reçoit tout le temps les félicitations, ce qui lui donne la force de persévérer dans ce travail. En attendant des jours meilleurs.